Cette semaine, j’ai peu et mal dormi. La raison, je l’ignore. La pleine lune, le changement de saison ou d’oreiller, un cerveau qui ne comprend pas les signes ostentatoires d’épuisement et qui préfère finir ce livre ou accepter l’invitation à l’apéro des voisins… Comme je ne suis plus de toute première jeunesse (les raisons invoquées ci-dessus suffisaient à le comprendre), j’ai donc été fatiguée toute la semaine. Du mal à me réveiller, l’impression de porter l’humour le monde sur les épaules, une élocution digne de Paul Mirabel, tous les symptômes étaient bien là.
Pas simple de commencer les journées dans cet état-là. Surtout qu’il faut éviter de tomber dans le grand piège de la mauvaise humeur, grande comparse de la fatigue. Je m’en suis rendu compte un matin sous ma douche quand, entre deux bâillements, je me suis énervée pour ce shampoing qui ne descendait pas assez vite de la bouteille à ma main. Là, pas de doute, je glissais subrepticement vers cette journée qualifiée de « journée de merde » alors qu’elle n’a rien demandé. Ça commence comme ça puis très vite, tu enfiles un truc confort mais tu passes la journée à le regretter parce qu’à chaque fois que tu passes devant un miroir, tu te dis que tu ressembles à rien, tu prends mal la moindre remarque de ton +1 et tu sautes sur l’occasion pour débuter une embrouille sur le fait de relever la cuvette des toilettes et vider le lave-vaisselle (ou l’inverse), tu veux parler à personne mais tu grommelles parce qu’on te laisse à part à la cantine, ton corps aurait besoin de se reposer et donc que tu lui donnes juste une soupe et un yaourt avant de te glisser entre les draps mais tu optes pour le gros burger aussi gras que soi-disant réconfortant qui te donnera mal au bide toute la soirée… Bref, quand tu manques de sommeil, il est si facile de glisser du fameux côté obscur.
Donc ce même matin, alors que j’attendais que ce fuck*ng shampoing veuille bien sortir de sa bouteille, j’ai décidé de reprogrammer mon cerveau. Et de bien lui faire comprendre que même s’il n’était pas loin de l’encéphalogramme plat, ce n’était pas une raison pour transformer ma journée en tableau de Soulages. Laissez-moi vous dire que la personne ou l’entité qui gère tout ça a dû bien se marrer en entendant que je refusais la fatalité. Je sors de chez moi, évidemment sans avoir jeté un œil à la météo et je fais juste assez de chemin pour avoir la flemme de remonter chez moi quand il se met à pleuvoir : je n’ai pas de parapluie mais un pantalon assez long pour me faire expérimenter le principe de capillarité. Arrivée à la gare, je me rends compte que le prochain train n’est pas dans 3 minutes mais dans 15 – oui, apparemment, tout le monde prend les vacances scolaires. Ah, en fait non : quand le train arrive, on se retrouve avec l’équivalent de 2 trains dans un seul. La promiscuité un jour de pluie, quel bonheur pour l’odorat ! Transpiration ou chien mouillé, même combat, avec, en supplément, la goutte régulière du parapluie du voisin sur tes mocassins. Dernier arrêt avant le terminus, un homme s’est dit que c’était évidemment le meilleur moment pour se coller encore plus et jouer, mal, Besame Mucho à la guitare que, même mon oreille plus qu’imparfaite savait mal accordée. Je n’étais partie de chez moi que depuis une petite demi-heure et pourtant, ça s’acharnait tellement qu’une pluie de criquets ne m’aurait pas étonnée. Dégoutée, oui, étonnée, même plus.
Je passe sur le monsieur, visiblement perturbé, qui est passé à côté de moi en hurlant « MAIS POURQUOI VOUS LISEZ DANS MES PENSÉES ? », sur les mails de gens qui n’avaient pas réussi à se détacher du shampoing qui ne coule pas assez vite manifestement et sur toutes ces petites choses qu’il est si facile de prendre contre soi quand on est dans un sale mood. Cette journée particulièrement a été une épreuve.
Mais j’avoue avoir été assez fière quand, une fois dans mon lit le soir, j’ai réalisé que j’avais réussi. J’étais fatiguée et pourtant je n’avais pas passé une mauvaise journée. Lente, oui, mauvaise, non. J’avais hacké mon propre cerveau ! Cela étant, ce n’était qu’une journée parmi une semaine un peu plus difficile pour moi que d’habitude. Je ne jette pas la pierre sur les gens qui sont vraiment fatigués et qui n’ont plus la force de changer d’optique. Les personnes qui ont un boulot qu’elles n’aiment pas, des galères d’argent, de santé, d’amour et d’amitié. Le manque de sommeil, qu’il soit médical ou psychosomatique, c’est une vraie torture. Il parait qu’on empêchait même les prisonniers de Guantanamo de dormir pour leur faire avouer tout et n’importe quoi. Bien sûr, sans arriver à cela, quand tu ne peux pas te reposer, tu as le droit d’être de mauvaise humeur. Ou de penser que les gens sur le parvis de la gare « LISE[NT] DANS [T]ES PENSÉES ».
Mais moi, j’ai la chance d’aller bien et d’avoir une vie assez facile. Donc, promis, à chaque fois que j’en aurai la force, je ne transformerai pas ma fatigue en mauvaise humeur. Si vous me trouvez énervée, c’est qu’il y aura eu une bonne raison. Ou que mon shampoing n’aura vraiment pas coulé assez vite.
