Chronique performante

Je déjeunais avec un client la semaine dernière et il me disait, après m’avoir demandé quels étaient les résultats des dernières campagnes, qu’il était lassé de voir à quel point on mesurait tout, tout le temps. Que tout n’était que chiffres et donc performances. Quand on le connait, l’ironie de la chose est plutôt notable mais si on prend un peu de recul, je dois admettre qu’il a raison.

Les compteurs de pas, de temps sur les smartphones, les 5 fruits & légumes par jour, les résultats de ton travail, le nombre de pays que tu as visités, les index dans tous les sens… Chaque moment de ta vie est mesuré, quantifié et tu dois faire toujours mieux, toujours plus. Parce que désolée Pierrot, mais on le sait tous que l’important, ce n’est pas vraiment de participer. Ça m’étonnerait pas que tu aies souvent été le dernier à être choisi dans les équipes de foot à la récré, toi.

Et pourtant, je suis la première à les étudier ces chiffres. (Celles & ceux qui me connaissent savent à quel point cette phrase est plus que vraie) Dans le boulot, bien sûr. Mon travail n’est pas assez concret pour que je me permette de négliger des données qui feront que je pourrais négocier une hausse d’honoraires. Mais qu’on ait des indicateurs de performance dans le travail, ça semble assez logique.

Là où ça devient à la limite du rain man monomaniaque, c’est quand tu appliques des chiffres et leur évolution à la vie perso, à ce qui devrait même être simplement un plaisir. Par exemple, j’ai toujours dit que j’écrivais pour le kif mais je suis la première à regarder les stats de visite du blog chaque semaine (oui, je sais exactement combien vous êtes à lire – JE VOUS VOIS ! Donc toi, toi et toi, rattrapez votre retard !) J’essaie de me libérer de mon smartphone mais je saute sur la notif du lundi matin qui me donne mon temps d’écran hebdo et qui me dit si j’ai été une bonne élève ou pas. Mon cerveau doit se dire que si je vois un -x% depuis la semaine dernière, il aura une sucette, comme quand tu vas chez le médecin. En vrai, aucun médecin ne m’a jamais donné de sucette et je trouve ça plutôt logique. Pourquoi quelqu’un qui s’occupe de ta santé te donnerait du diabète saveur fraise juste parce que tu es venu le voir ? A moins que lui aussi ait besoin d’augmenter ses stats et fidéliser sa clientèle. Cynique mais peut-être vrai … (comment faire naître une théorie du complot, chapitre 1.)

J’ai été particulièrement frappée de ce besoin de performance appliquée à tous les domaines lorsque cette semaine, en disant à une amie que j’étais allée au ciné, elle m’a répondu « ohlala moi aussi, il faudrait que j’y aille, mais je ne prends pas le temps. Tu as raison, il faut que je me l’impose, je vais me noter d’y aller au moins une fois par mois ». Quoi ? Mais pourquoi ? On sait que c’est souvent difficile de casser un peu la routine et de prendre du temps pour soi mais de là à en faire un combat, c’est un peu triste. En plus, un combat contre soi-même, qui gagne ? (Le Dalaï Lama, c’est mon père. Mais ce sera l’objet d’une autre chronique). Et puis franchement, Monique, (oui, j’ai des amies qui s’appellent Monique), le cinéma, c’est cool, ça fait du bien mais si tu n’y vas pas, est-ce si grave ? Et si jamais, un mois, tu loupes ton rdv imposé, à qui tu vas en rendre compte ? Tu as rdv avec ton directeur des ressources humaines perso à la fin de l’année qui t’engueule parce que tu ne t’es pas forcée à aller t’enfermer dans le noir en juillet voir une comédie où Christian Clavier découvre que sa fille Virginie Efira sort avec un musulman vegan unijambiste? Mais, tu as bien fait si tu n’en avais pas envie. (Alors que le pitch, pourtant… si innovant, si décalé…). Il fait quoi si tes performances ne sont pas bonnes ? Il te force à t’épiler au caramel au beurre salé ?

Alors, oui, c’est vrai que d’avoir vu le dernier film à la mode, lu le dernier livre, vu la dernière expo… c’est pratique dans les diners (au-delà du fait que c’est plaisant et que ça ouvre l’esprit mais on n’est pas là pour parler culture non plus) et ça aide à trouver un sujet de conversation dans des rdv pro qui ne se décoincent pas (on l’a tous connu ce rdv où le mec en face ne veut que parler boulot, répond par « non » quand tu lui demandes s’il a prévu des vacances et où il écrit des textos pendant que tu rames à lui faire te décrocher un coup d’œil)

Mais, Michel, si ton truc à toi, ce sont les séries sur TF1, les tournois de fléchette et les concours du plus beau pâté en croûte (ne va pas voir le film susnommé), grand bien te fasse. Tu as le droit. On va galérer pour trouver un sujet de conversation mais je respecte le fait que tu ne te forces pas juste pour rentrer dans le moule et que tu puisses dire à la fin de l’année que tu as écumé les salles obscures (alors que la moitié du temps, tu te serais de toutes façons endormi devant le film).

Ça me rappelle les stories qu’on voit fleurir à la fin de l’année sur les réseaux où les gens se « battent » au nombre d’heures qu’ils ont passé à écouter tel artiste. Génial, ça me fait une belle jambe que tu aies passé 5487 des 8784 heures de l’année (c’était une année bissextile) avec des airpods dans les oreilles mais ça me donne plus envie de te faire envoyer une brochure d’Audika que t’applaudir pour la performance.

Donc, bon, je vais continuer de regarder les indicateurs de mon travail, à zyeuter (tiens, je ne me souvenais pas de l’existence de ce mot avant de l’écrire là…) les résultats de ces chroniques, mais svp, arrêtez de vous/nous bouffer le crâne avec vos performances. Et enlevez-moi ces airpods !