Il y a des jours comme ça où on voit tout en noir. Enfin, tout en noir, non, parce que je suis plutôt rationnelle et que je me rends bien compte au fond de moi (parfois vraiment tout au fond) que ce n’est pas si terrible et que ma vie est globalement très agréable, mais avec un voile de pessimisme devant les yeux.
Et ça touche tous les domaines.
Déjà, dans la rue, je trouve que tout le monde a du style, est beau à sa manière, a de l’allure… Là dessus, comprendre « plus de style que moi » ! Alors que soyons honnêtes, la proportion de beaux et de moches ne change pas selon les semaines, mon humeur ou la météo. Il n’empêche que dans ces moments de cumulus dans mon cerveau, les gens sont tous très beaux.
Et cette météo digne d’un mardi de novembre dans ma tête a un gros effet majeur : je me sens toute petite, moins légitime, presque transparente. Il suffit qu’un serveur mette plus de temps que d’habitude à venir prendre ma commande pour que je me dise, dans ces moments-là, que j’ai clairement besoin de refaire ma couleur, trouver une coupe plus différente ou arrêter de mettre ce vieux pull que j’aime bien.
C’est aussi le moment où le moindre petit obstacle te paraît insurmontable et où n’importe quelle petite contrariété te transforme en drama-queen. Des broutilles qui t’arrivent tout le temps mais qui là, sont évidemment bien plus graves. Le lave-vaisselle qui ne s’est pas mis en route en programmation retardée, ton ordi qui s’éteint alors que tu n’as pas sauvegardé ce mail que tu as déjà mis deux fois plus de temps à écrire, ce collant qui se file juste quand tu arrives au bureau, ce rdv qui s’annule alors que tu es déjà en route… Bref, clairement pas des épreuves dignes d’Hercule mais dans ta tête, tu te vois tomber sur les genoux, sous la pluie, en criant vers le ciel « Pourquoiiii moiii » ?, traces de mascara qui roulent sur les joues…
Le voile se pose aussi lors de moments plus importants. Cette semaine, on était en rdv chez des créateurs de marque, futurs clients, dans un appartement luxueux du XVIème, où chaque meuble valait une de mes mensualités de crédit et où la bibliothèque recélait de plus de livres que la bibliothèque municipale de Pontault-Combault. Et à leurs allures à tous les deux, leurs façons de s’exprimer, de se tenir, de se mouvoir, tu sens qu’en plus, ils les ont lus ! Ok, ces gens ont l’âge d’être mes parents (et encore, s’ils m’avaient eue sur le tard) et ont donc eu le temps d’acquérir toute cette richesse, ce savoir et cette connaissance. Mais tout de suite, alors que je suis en phase descendante, je me dis que je ne suis qu’une petite chose et que je vais les écouter religieusement pour espérer devenir eux un jour. (Et pour les meubles dont je ne suis pas forcément fan, pas grave, je les mettrai sur Le Bon Coin). Alors que mon cerveau gauche, lui, a passé le rdv à s’époumoner : « Mais puisque tu es là, c’est qu’ils ont besoin de ton savoir, ton expérience, ton expertise, tu n’es donc pas une petite chose ! » Dans ces moments-là, il faudrait, un peu comme dans Amélie Poulain, un souffleur de rue qui te dirait qu’en plus, si ces gens que tu admires ont fait appel à toi, tu es loin d’être insignifiante, bien au contraire. Mais ça, ça n’arrive que dans les films de Jean-Pierre Jeunet, les rats étant plus souvent présents dans les égouts que des coaches personnels bénévoles.
Ce voile gris va aussi avoir un effet sur mes idées. Alors que mon métier me demande d’être créative et force de proposition, tout ce que je vais trouver va créer autant d’effet « whaouh » qu’une potatoes dans un sachet de frites : ça fait plaisir sur le moment mais ça arrive tellement souvent que tu t’y attendais. Si je pouvais prévoir, ce serait le moment où je ferais la compta. (désolée pour les comptables, mais votre métier n’est quand même pas la référence en termes de fun) Et le pire, c’est quand on me propose une idée, j’ai tout de suite tendance à voir comment ça pourrait ne pas fonctionner plutôt que de chercher toutes les solutions pour que justement elle cartonne. J’ai toujours un peu cette fâcheuse tendance à jouer l’avocat du diable, mais dans ces jours aussi joyeux qu’un clip de Mylène Farmer, tu as plutôt intérêt à avoir des arguments solides et un moral d’acier si tu comptes me parler d’un nouveau concept.
En vrai, on le sait, ce sont les hormones mais quand tu es une rationnelle convaincue comme moi, tu n’as pas envie de ne pas pouvoir décider, tu n’as pas envie que ton cerveau perde son rôle de décideur de ton corps. Chose que mes copines sorcières nouvelle génération (encore elles !) essaient désespérément de me faire comprendre. Bon courage les filles, je ne suis pas encore au stade d’aller câliner des arbres les soirs de pleine lune. (je caricature pour l’effet du texte, vous avez bien le droit de faire ce que vous voulez, et je serai là pour vous enlever les échardes). Je ne comprends d’ailleurs pas trop le concept des hormones : quel est votre but à nous pourrir la vie ? En quoi c’est une bonne chose pour la vie en général d’avoir l’impression qu’on a autant de sex appeal qu’une fille qui aurait décidé de ne plus se laver les cheveux ?
Mais bon, rassurez-vous, cela ne dure que quelques jours, même pas une semaine, et après ça, je recommence à avoir les pleins pouvoirs sur mon cerveau. (Sauf en cas d’insomnie apparemment, mais c’est une autre histoire). Aussi, je tiens à m’adresser à mes proches qui vont lire ça : Je vais bien, tout va bien. Comme dirait Dany Boon. (oh merde, ne serait-ce pas là le signe que justement ça ne va pas si bien ?) Pas la peine d’envoyer le Samu !
Le voile se lève au bout de quelques heures, et là je retrouve le goût de ce que je fais, la joie d’avoir choisi la vie qui me plait, d’habiter un appartement certes meublé avec pas mal de « style scandinave » (ça, c’est l’euphémisme des gens qui se fournissent, comme la plupart, chez le roi suédois du kit et des boulettes), mais qui m’émerveille toujours autant un an après avoir emménagé, d’avoir des ami.e.s aussi drôles que bienveillant.e.s et un Mâle qui vit ça de plein fouet sans se plaindre. Et je ne dis pas ça parce qu’il lit !
Bref, que ce soit l’automne qui arrive, le fait de ne plus pouvoir sortir le soir ou les hormones, je me suis aussi rendue compte qu’on avait le droit de ne pas être au top tout le temps, de ne vouloir mettre que son vieux pull et un jean, de ne pas être tout le temps créative, le serveur a le droit de mettre plus de temps à venir à ta table parce qu’il ne t’a pas vue et la potatoes a le droit d’être dans ton sachet de frites. C’est comme tout : si c’est passager, ce n’est pas si grave. Le monde n’a pas besoin d’être un terrain de jeux dont tous les habitants auraient avalé un peu trop d’ecstasy.
Sur ce, je vous laisse, je dois aller faire tourner une machine avec mon vieux pull, je l’ai un peu trop mis ces jours-ci.
