L’autre jour, quand on n’avait pas l’impression d’être revenu dans l’adolescence, j’ai passé une soirée, le soir, quand il faisait nuit, avec des copines qui me racontaient leurs expériences avec leurs psys. Et, même si je m’en doutais déjà un peu (j’ai quand même un minimum de lucidité), je me suis vraiment rendue compte à ce moment-là que je ne suis pas quelqu’un qui prend le temps d’analyser ses émotions.
Je me rappelle d’ailleurs de l’effet de nouveauté que ça a produit dans mon cerveau la première fois qu’une de ces deux copines m’a demandé, alors que je lui racontais une de mes péripéties, « et tu l’as vécu comment ? » Euh… Mystère et boule de suif. Enfer et damnation. Blake et Mortimer… Qu’est ce qu’on doit répondre à ça ? J’avais raconté les faits, dit en gros ce que j’en pensais (difficile de s’empêcher de juger, on le sait), pour moi, ça s’arrêtait là. Ce que ça me faisait ressentir avait autant d’importance que la couleur de ma première paire de chaussettes.
De toutes façons, je n’ai jamais été du style à analyser. Déjà, en 4eme quand Mr Eon, mon prof de français, nous demandait un commentaire de texte sur Le Horla de Maupassant, ça me rendait dingue de l’entendre dire : « en écrivant ce mot, dans cette phrase, l’auteur a voulu exprimer son profond désarroi, dans un contexte difficile autant pour la situation du personnage que pour l’époque ». Mais qu’est-ce que tu en sais mon petit chevalier de la vie de ce pauvre Guitou ? Tu étais là à côté de lui à remplir son pot d’encre et lui apporter son Gin-Tonic ? Pourquoi n’aurait-il pas utilisé ce mot juste parce qu’il en avait envie, parce que c’était un pari avec ses potes, parce qu’il n’avait pas de dictionnaire des synonymes sous la main ou parce qu’il avait abusé des cocktails ? En plus, et ce n’est que mon avis, je trouvais que sur-analyser les textes de ces grands auteurs les vidaient de leur essence plus que ça ne m’aidait à les comprendre. Je n’avais pas envie de mettre mes mots sur leurs émotions et j’ai continué d’appliquer ce principe sur mes propres ressentis.
Ça marche tout autant sur mon état psychologique que sur ma santé. Globalement, j’ai un peu tendance à être dure de la feuille (merci Grand-Mère Feuillage pour cette expression oubliée) quand il s’agit de m’écouter. Ce n’est pas mon médecin traitant qui vous dira le contraire. De toutes façons, pour qu’il puisse vous dire quoi que ce soit, il faudrait déjà que je me souvienne de son nom et de son adresse… Ma dernière image de lui remonte à 2016, depuis je me contente de trouver un médecin en urgence dans mon quartier quand je n’ai vraiment plus le choix. Il faut dire que je viens d’une longue lignée de « pense à autre chose » et que la blague la plus courante des deux côtés de mon arbre généalogique, c’est « Docteur, j’ai mal quand j’appuie là / Et bien arrêtez d’appuyer ». (Pour animer vos soirées, bar-mitzvah, communions, on est là !)
Du coup, c’est vrai que j’ai un peu peur que si je commence à m’écouter, ça ne s’arrête plus. Et surtout que le mal empire. Pas mal de boulot en ce moment avec plein de nouveaux défis, c’est chouette (merci Archimède – hibou de Merlin l’Enchanteur pour les non-initiés – pour cette expression) mais c’est aussi assez fatigant. Or, si je me dis, enfin si je prends conscience du fait que je suis sur les rotules (merci Monica Lewinski… Oui je sais c’est limite…) que je suis presque contente du couvre-feu, je risque d’être encore plus fatiguée et de vouloir appeler notre premier ministre pour qu’il demande à ce qu’en plus d’être chez nous à 21H, on éteigne les lumières, on se soit brossé les dents et qu’on soit au lit. Un peu à la Méthode Coué : si je me dis que tout va bien, tout ira bien. (Qui a pensé à la Methode Cauet ? Avouez !)
Mais bon, rassurez-vous, je ne suis pas non plus un robot et je m’écoute quand même un peu. (Même Wall-e avait des émotions !) Quand j’atteins un trop haut niveau de fatigue, je finis par écouter mon acolyte professionnelle qui me somme de poser une journée même si c’est pour juste ne rien faire. Et je dégaine Doctolib plus vite que mon ombre quand je sens que je tombe vraiment malade.
Sinon, pour tout ce qui est petites émotions, j’ai plusieurs façons très superficielles de gérer ça : aller chez le coiffeur, faire du tri, prétendre me remettre au sport (sans la salle, je suis un peu perdue), voir des copines que je vais faire parler d’elles pour ne pas qu’elles fassent pareil avec moi, ou faire du shopping. D’ailleurs quand je fais du shopping, je suis assez à l’écoute de mes ressentis. La joie d’avoir trouvé le pantalon que j’avais repéré, dans un motif assez différent pour que je sois juste assez originale, l’excitation d’aller l’essayer, la déception quand je me rends compte qu’il a été taillé par quelqu’un qui n’a pas vu de corps vivant depuis le début de sa carrière de styliste, la frustration de me rendre compte que finalement je repartirais de ce magasin sans rien et la culpabilité quand je craque et que j’achète un t-shirt qui vient compléter ma collection beaucoup trop large alors que je sais qu’il a été cousu par un nourrisson orphelin du Bangladesh à qui il manque un bras… Finalement, mes émotions, je les écoute, c’est juste qu’elles sont bien trop nombreuses et qu’en plus, elles sont aussi d’accord entre elles que si elles étaient des députés à l’Assemblée Nationale.
Bref, je fais plutôt partie de la team des autruches quand il s’agit des émotions et jusque là, je le vis assez bien. Mes copines les analystes sont là pour me forcer à sortir la tête du sable quand il le faut vraiment – merci pour ça ! – et le reste du temps, j’avance dans la vie avec des écouteurs. On pourrait croire que je me cache mais en fait, non, je suis comme ça et plutôt à l’aise avec le fait de garder tout ça en mon for (très) intérieur.
Sur ce, je vous laisse, j’ai rendez-vous chez le coiffeur !
