Qui n’a pas entendu parler du syndrome de l’imposteur ?
J’ai l’impression que le syndrome de l’imposteur est à la psychologie de la nana d’une trentaine d’années ce que le perfectionnisme est à la question des 3 défauts en entretien : tellement évident. (et pratique. Mais pour les entretiens, ça serait agréable si les postulants ne donnaient plus cette réponse. Et si les recruteurs ne la posaient plus d’ailleurs…) Et pourtant…
Tu rends un dossier sur lequel tu as travaillé d’arrache-pied (faudrait reparler de cette expression), tu tricotes toute une garde-robe et tout le monde envie ton style unique, tu montes ta boite, tu prépares un fondant à la pistache glaçage chocolat blanc alors que tu as encore du mal à faire un œuf sur le plat, tu deviens une star mondiale de la chanson ou tu publies tes écrits sur un blog aux yeux de tous (rayer les mentions inutiles) et pourtant tu as l’impression d’être aussi travailleur et doué que ce petit Jean-Kévin qui s’enfuyait de l’école primaire parce qu’on lui demandait d’écrire son prénom (faut dire que niveau prénom, le pauvre n’était pas aidé…)
La plupart du temps, comme tu as travaillé comme un âne ou même parce que tu es douée, tu récoltes des félicitations. Ton bulletin de notes à l’école faisait rêver les parents de Jean-Kévin, tes clients laissent 5 étoiles sur ton profil Linked In et des milliers de personnes lisent ton blog (on peut rêver) mais tu attribues toujours ça à de la chance, de la gentillesse voire de la compassion. Ta boite a dépassé plusieurs fameux stades critiques de tous les pseudos-experts qui ont bien voulu te « prévenir de la dure réalité, que tu n’as pas l’air de vouloir appréhender ».
Et pourtant.
Et pourtant, au bout de toutes ces années, tu as encore parfois la sensation que tu n’es pas à ta place, pas légitime. Tu as peur de te lancer. (je ne suis pas naine, j’ai le droit de me lancer. Non je ne suis pas non plus une naine qui a grandi et je ne m’appelle pas Anne – les adeptes de la Jean-Guille comprendront).
Ça n’a pas toujours été comme ça. En tout cas, tu en as l’impression, c’est venu en grandissant. Quand tu repenses à celle que tu étais dans la cour de l’école Jules Ferry, tu te vois aboyer des ordres sur les garçons qui ne voulaient pas te passer la balle quand ils jouaient au foot jusqu’à ce qu’ils finissent par te nommer capitaine de l’équipe. Tu te vois aussi marcher tel un coq dans sa basse-cour quand tu avais réussi à rabattre le caquet devant tout le monde de Jean-Kévin qui était forcément adulé puisque rebelle. Ou encore quand tu avais joué les parrains de la mafia en prévenant la petite Jennifer-Brenda que si elle continuait à emmerder ta petite sœur, tu allais faire de sa vie un enfer. (oui, tu es allée jusqu’à dire ça, les parrains de la mafia n’ont pas peur des clichés…) En repensant à tous ces moments et à plein d’autres, tu as la sensation qu’à ce moment-là tu te sentais puissante, forte, inarrêtable.
Puis, tu as grandi et tu as accompli des tas de choses plus importantes que de décrocher le rôle de D’Artagnan dans le spectacle de fin d’année mais ton sentiment de puissance, lui, a pris quelques claques dans la figure au fur et à mesure. Si bien que quand on te demande ce que tu fais, tu préfères dire que tu travailles en agence plutôt que d’expliquer que tu diriges l’agence que tu as co-fondée, depuis un certain nombre d’années, que tu as embauché. Non, si les gens insistent pour savoir « quelle agence », tu vas continuer en leur disant « une petite agence, tu ne dois pas connaître ». Mais enfin, elle est où la capitaine de l’équipe de foot là ? Dis le haut et fort que tu as travaillé, sué, bataillé pour être là où tu en es maintenant et que tu peux être fière d’avoir contribué au PIB Français. Oui, rien que ça. On peut être fier sans être arrogant ! (faudra juste penser à enlever la partie sur le PIB)
Ça ne vaut pas que pour le monde professionnel. Et là je voudrais parler à toutes mes copines de ma génération, et même des autres, toutes les personnes, finalement, qui ne se sentent pas légitimes pour s’imposer. Pour avoir regardé un documentaire sur Lady Gaga et The Crown avec la terrible histoire du Prince Charles, tu te rends bien compte que cette pathologie touche tout le monde. (oui on fait les recherches que l’on veut ! C’est un blog, pas un article d’un journaliste de Psychologies Magazine) Tu as réussi du premier coup une recette de Cyril Lignac, tu as décroché un entretien d’embauche, tu as fait des enfants, tu as recousu un bouton ou cousu ton premier manteau, tu chantes et tu te fais applaudir, tu as fait le ménage de toute la maison, même au dessus de la hotte : sois fière ! Il n’y a pas de petits exploits. A partir du moment où tu as réussi quelque chose que tu ne pensais pas pouvoir accomplir (la hotte est beaucoup trop haute…), sois fière !
Arrêtons de croire que nous ne sommes pas légitimes, que nous sommes des imposteurs. Qui décide de ça de toute façon ? D’ailleurs, je crois que les vrais imposteurs, ceux qui font croire volontairement qu’ils sont bons, sont doués, sont travailleurs, eux, ne se posent pas ce genre de questions. Ils foncent (jusqu’à se prendre un mur, oui peut-être). Ils osent, ils se pavoisent, ils ne s’encombrent pas de questions inutiles. C’est comme se poser la question de son intelligence : le doute est en lui-même une preuve de QI, donc tout va bien.
Quand on y réfléchit, le pire qui puisse arriver quand on se lance, c’est de rester au même endroit que là où nous étions avant. Comme un boomerang. Mais pas n’importe quel boomerang vendu dans un magasin de souvenirs de Canberra, non un fier boomerang aborigène ! (Ceux qui aiment les diners du mercredi soir apprécieront, je l’espère, cette référence librement inspirée)
Mais ne crachons pas non plus dans la soupe (expression particulièrement crade quand même) : ce fameux syndrome est peut-être aussi ce qui te pousse à vouloir toujours plus, à te former, à t’instruire, à te muscler ou à acheter la bible de Ginette Mathiot pour connaître les bases du blanc en neige. Pour en finir avec cette sensation d’être une petite chose, tu lis, tu te dépasses et tu finis par te lancer. Donc finalement, ça te rend en partie plus fort. Tout le contraste de la psychologie humaine…
Pardon pour cet article qu’on pourrait croire issu de n’importe quel livre de développement personnel, il semble que la période fait que j’avais besoin de me souvenir de moi, petit caïd des cours de récré et cauchemar ambulant de Jennifer-Brenda. Et si ça peut aider une personne à se lancer, j’en serais super fière !
Sur ce, je vous laisse, je vais envoyer ma candidature pour quelque chose qui me tente depuis longtemps. Et non, ça n’est pas The Voice. J’ai beau vouloir me débarrasser du syndrome de l’imposteur, j’ai gardé ma lucidité. Et mes capacités auditives.
