Jusqu’à une certaine épiphanie dont je vais évidemment vous parler, je me considérais comme quelqu’un de plutôt patient. Je sais que « Rome ne s’est pas faite en un jour » (qui a pu d’ailleurs croire ça une fois pour qu’on finisse par en faire une expression ?), que ça ne sert à rien de klaxonner dans un bouchon, que tu ne perds pas 5 kilos en 1 nuit (ou alors, tu as plus urgent à gérer que ton summerbody) et que les choses bien faites demandent du temps (ou de l’argent, mais c’est un autre débat). Je pensais donc avoir été dotée d’une grande sagesse (parce que, oui bizarrement, sagesse et patience sont souvent associées dans l’imaginaire collectif) et pouvais presque m’en féliciter.
Et puis, un matin comme quelques autres en ce moment, je monte dans le train de banlieue (que j’ai attendu sans rechigner ni pester) et me retrouve assise dans un carré déjà à moitié occupé. Dans ma diagonale, un monsieur qui me fait lever les yeux de mon téléphone (qui n’avait plus assez de batterie pour me bercer de musique) par ses chantonnements. Lui, manifestement, la batterie était aussi dans ses oreilles et il ne pouvait s’empêcher de l’accompagner dans un demi couinement. Le moment où il a commencé à tapoter sur sa « air batterie » a été LA révélation.
Voilà ce qui s’est passé dans ma tête en quelques dixièmes de seconde :
« non, mais, quel relou lui, on est le matin, tout le monde est au bout du rouleau, mal réveillé et lui, il ne comprend pas le code de base qui veut que le train du matin soit plutôt silencieux. Pourtant, d’ordinaire, je suis plutôt enjouée mais là… Mais… en fait, non, ça n’a rien à voir avec le moment de la journée. N’importe quand, un gogol qui a oublié qu’il était entouré de gens et se croit dans sa salle de bains à faire semblant de faire du beatbox comme s’il était en 2006 (oui c’est déjà vieux !) m’aurait saoulée ! Oh my god, je ne suis pas patiente ! Je ne l’ai jamais été. » Epiphanie…
Mon esprit s’est alors calé sur l’affreuse mélodie de ses doigts calleux sur ses genoux osseux pour divaguer et je me suis rendue compte qu’il y a tellement de situations où la patience n’est absolument pas ma première qualité. Les transports en commun en sont un bon condensé avec les gens qui se lèvent 5 minutes avant le terminus où tout le monde descend (par définition) pour être sûrs d’être les premiers à descendre, tout en te bousculant forcément vu que le train bouge ! Et ne me faites pas croire que tous sont en retard, ça n’est matériellement pas possible.
Je m’impatiente aussi derrière les gens qui ont ce pouvoir magique de toujours anticiper le côté par lequel tu vas les doubler mais qui marchent à 2 à l’heure. On est à Paris mon ptit père, il va falloir prendre le rythme et accélérer. Ou alors, oublier ta dignité et louer une trottinette pour laisser les trottoirs aux plus de 5 ans qui savent marcher.
Les gens qui tournent autour du pot et qui font semblant de s’intéresser à toi alors qu’ils ont bien en tête de te demander un truc bien relou et qui essaient de te l’amener en douceur usent aussi mon si petit capital patience. La bienséance m’empêche de les stopper net pour qu’ils crachent le morceau mais dans ma tête, je les imagine aimer se faire arracher les poils un à un plutôt que d’utiliser une bande de cire.
Enfin, je n’ai pas beaucoup de patience non plus avec des catégories entières telles que les gens malades et les enfants. (les enfants malades sont tellement au delà de mon seuil que je ne peux même pas les imaginer). Attention, je ne manque pas de compassion et je suis vraiment triste pour les gens qui sont malades mais j’ai beaucoup de mal à les écouter me parler des rendez-vous médicaux, des résultats en détail de leurs analyses de sang, d’urine, et de tout le reste (surtout que les gens qui sont assez à l’aise pour te raconter ça sont souvent des gens dont tu n’es pas assez proche pour connaître la couleur de leurs urines !). Je ne suis ni médecin ni chamane, donc une fois que je t’aurais dit que j’espère que tu vas te rétablir très vite, je vais vite avoir fait le tour de cette discussion. Et je vais m’impatienter de la voir se terminer. (oui, je suis un monstre sans cœur).
Les enfants, quant à eux, sont juste tellement dans leur monde que c’est difficile à suivre et donc impatience…
Après toute cette introspection, je me suis demandée si on avait tous à la naissance, une sorte de capital patience qui pouvait s’épuiser, un peu comme un capital bronzage, qu’on devait le préserver en s’éloignant des gens qui beatboxent dans le train et si on pouvait regagner des points en écoutant la boulangère nous raconter à quel point elle souffre de ses cors aux pieds. Même dans des Crocs.
Si c’est le cas, que dire de la période actuelle ? Est-ce que tout ce qui arrive est en train d’épuiser toutes nos réserves collectives et qu’on va finir par se rouler en boule au milieu des allées du supermarché comme un enfant capricieux parce qu’il ne reste que des yaourts à la cerise (et que tout le monde sait que ce sont les pires) ou taper du pied nerveusement parce que la recherche internet prend plus de 10 millièmes de secondes (alors que c’est quand même pas compliqué d’afficher instantanément le mammifère qui a les dents les plus longues ou les poils les plus doux, ou le contraire) ? Ou au contraire, est-ce qu’on vient de prendre une pénalité qui nous force à stopper la course de vitesse dans laquelle on était engagé pour nous permettre de re-remplir nos capitaux-patience ?
Sur ce, je vous laisse, je vais juste prendre le temps d’y réfléchir. (Et d’apporter des Scholl à la boulangère)
