Chronique d’un lâcher-prise impossible

Comme on l’aura compris, distillé dans les chroniques précédentes, le lâcher-prise ne fait pas partie des attributs avec lesquels j’ai été livrée à la naissance. Et cette chronique en est le meilleur exemple : on est dimanche soir, presque 20H, et je ne peux pas me résoudre à ne pas écrire, juste parce que je me sens une sorte de contrat moral avec les milliers de gens qui me lisent. (Ou les quelques petites dizaines mais qui me font chaud au cœur comme s’ils étaient des milliers).

C’est aussi vrai dans le milieu professionnel que la vie personnelle. Je ne sais pas me dire « rho c’est pas grave, ça n’est pas important, on verra demain… » Dans un sens, bien sûr que c’est une bonne chose. Je suis consciencieuse et j’imagine que c’est aussi ce qui peut plaire à mes clients. Mes listes, ma mémoire de Rainman et l’assurance que je vais étendre un peu plus ma journée si je reçois un mail qui me dit « URGENT » alors que j’allais frénétiquement fermer mes onglets. Mais évidemment c’est aussi un peu handicapant. Ça se matérialise, chez moi, par une peur bleue de déléguer. Il va me falloir beaucoup de temps pour apprendre à faire confiance (mais très peu pour la perdre) à quelqu’un à qui je vais demander de remplir ma liste de tâches. Donc pour éviter de perdre ce temps, je préfère tout faire moi-même. Certes, j’ai un peu de sommeil à rattraper mais au moins je dors sereinement parce que « c’est moi qui l’ai fait ». Croyez-moi, je suis, au fond de moi, bien consciente de l’absurdité de la chose.

En plus, je suis la première à utiliser cette phrase idiote, la fameuse « On ne sauve pas des vies » alors que dans ma tête, il y a une petite voix qui me hurle que si je ne réponds pas à ce mail à 19H57, mon client va me déshériter, je vais perdre mon appartement, me retrouver à la rue à vendre des cendriers découpés dans des canettes. Et je ne suis même pas très manuelle !

Dans la vie perso, ça se manifeste autrement. Par exemple, je fais partie de ces gens qui n’aiment pas les massages ou les soins en institut parce que je perds mon temps. Je ne me détends pas, au contraire : la petite musique douce me rend folle, la fille qui parle tout bas, j’ai envie de lui répondre en hurlant et je passe l’heure à penser à tout ce que j’aurais eu le temps de faire plutôt que d’être là en train de suer dans une serviette éponge dont j’ignore l’hygiène. En vacances, alors que je rêve toute l’année de me poser au bord d’une piscine avec un bouquin et un verre dans lequel on mettrait un petit parasol, je tiens une journée et demie avant de regarder les excursions possibles dans les environs. En soirée (jadis), même si je pouvais me laisser aller à plus de verres que de raison, je savais toujours ce que je faisais et je gardais en tête des principes comme « tu ne lâches pas ton verre » (ce que je pouvais associer à « tu me vides ce verre ») et tu ne pars pas sans tes amis. Et dans la vie d’aujourd’hui, ce sont des principes un peu moins utiles tels que « tu ne te laisses pas aller toute la journée devant des rediff de Dawson » (même si c’est juste le temps de prendre une douche et mettre des vêtements avec lesquels je n’ai pas dormi) ou « mets un peu de salade verte à côté de tes 3 parts de pizzas ».

Le lâcher-prise, cette confiance totale en ton toi intérieur, caché, ce n’est donc définitivement pas naturel. Bien sûr, je le savais, mais j’ai mis des mots dessus quand ma copine qui met de la magie dans ma vie m’a expliqué qu’elle en souffrait aussi. D’ailleurs, je ne sais pas si « souffrir » est le bon mot pour ça : ce n’est pas vraiment une douleur, parce que finalement c’est aussi une vraie force de caractère mais parfois, on aimerait juste pousser le bouton OFF et se laisser glisser, comme un canard sur un cours d’eau. Rien à décider, rien à choisir, et hop, on glisse. Un peu comme la bonne partie du Truman Show. Mais le cerveau des gens comme nous est bloqué sur le fait que notre vie est faite de choix et que chacun d’entre eux aura des répercussions. Il faut donc toujours être en veille et scrupuleusement attentive pour être sûre qu’on ne pourra pas se reprocher, plus tard, d’avoir choisi à la va-vite.

Ça doit être le revers de la médaille de l’indépendance. L’indépendance m’est toujours apparue comme une vraie force. Et je dis souvent que je n’ai pas « besoin » de beaucoup de gens dans ma vie, j’ai « envie » qu’ils en fassent partie. Parce qu’au fond, je me vois comme un Tom Hanks sur une ile déserte qui saurait évidemment se débrouiller toute seule (oui, il parle à un ballon, mais je parle déjà à peu près tous les objets qui m’entourent. Bonne nouvelle : ils ne me répondent pas encore).

Forcément quand tu te dis ça, même inconsciemment, comment veux-tu te dire que tu peux te laisser aller suffisamment pour souffler un peu ? (Sinon qui va faire à manger à Wilson ?)

Et puis, il y a cette crainte que si tu te laisses aller, tu peux potentiellement décevoir la personne en face de toi. Et si ça veut dire lire la déception dans le regard de gens qui comptent sur toi, non merci. (même si je n’ai pas « besoin » d’eux, oui, merci j’avais pointé moi-même l’incohérence de tout cela). Pourquoi croyez-vous que j’écris cette chronique alors que j’ai eu un week-end chargé et qu’il est l’heure des pâtes du dimanche soir ? Pour ne pas vous décevoir et prendre le risque de vous retrouver en PLS demain matin parce que vous n’aurez pas pu lire mes conseils avisés, ma plume acérée (et mon melon démesuré)…

Bref, ne pas savoir lâcher-prise, c’est surtout se mettre beaucoup de pression sur les épaules soi-même. Quand je réfléchis au cas de ma copine magique (ce qui me permet de prendre le recul que je n’ai pas sur moi), je me dis que même si elle se lâchait complètement, qu’elle oubliait d’assortir ses chaussures à son sac à main ou qu’elle recevait ses amis en leur servant un plat picard décongelé au lieu de ses bons petits plats, il y aurait de toutes façons très peu de risques qu’elle déçoive qui que ce soit. Elle est humaine après tout, et jusqu’à preuve du contraire (quand la CIA dévoilera ses secrets), les gens en face d’elle, aussi…

Sur ce, je vous laisse, c’est l’heure des spaghettis. Et je vais lâcher-prise : je ne dirais rien si quelqu’un les coupe…

Moi après 4 minutes dans un bain…

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