Je ne sais pas vous, mais moi, on m’a élevée de façon à toujours remercier les gens qui font quelque chose pour moi. A tel point que ça ne me paraît pas bizarre, contrairement aux personnes qui nous suivent, quand ma mère remercie le distributeur quand les billets sortent. Oui, c’est une machine, oui c’est son argent, mais on dit merci. Un peu comme une blague, certes, mais quand même.
Avec ce type d’éducation, forcément, l’ingratitude est un sujet sensible chez moi. En grandissant, je suis bien consciente que tout le monde n’a pas été formé dans le même moule mais il y a toujours des moments où ça me choque un peu. Même si ça ne devrait pas…
Il y a quelques temps, par exemple, je participe à une cagnotte pour un anniversaire. Normal, c’est un anniversaire, on offre un cadeau, jusque-là, rien d’illogique. La personne qui vieillit ce soir-là ne le voit pas tout de suite, la soirée se finit, elle a été prise dans l’effervescence de l’évènement (et du doliprane le lendemain, certainement) et ne remercie pas sur le moment. Je suis à cheval sur la gratitude mais complètement obtus non plus, je comprends. C’était au printemps. Il n’y a toujours pas eu juste un petit mot pour dire merci. Mi-septembre. On n’en est évidemment pas au point du mariage où tu sais que tu vas recevoir une carte de remerciements. Mais juste un message pour dire que la personne a apprécié que tu viennes et que tu participes à sa cagnotte pour partir se faire dorer la pilule en Thaïlande, remeubler son appart ou même éponger ses dettes si elle en a envie, ça me paraît la moindre des choses.
Dans un autre contexte aussi, ce moment où tu réussis un super coup pour un client. Ce client très exigeant qui veut toujours plus, toujours mieux. D’un côté, le challenge est excitant, te donne envie de prouver que tu sais faire. D’un autre, c’est toujours un peu fatigant de te demander, à chaque résultat, ce qu’il va trouver à redire. Et puis, arrive ce jour où tu réussis le coup de maître. Fierté jusqu’aux orteils, tu frétilles à l’idée même de lui annoncer. Et là, ce jour où tu as l’impression que la lumière divine t’éclaire de toute sa clarté, tu as juste droit à un mail de réponse qui dit : « OK, bien reçu. » Vraiment ? Rien de plus ? Bien sûr, c’est ton travail, tu dois toujours faire au mieux, tu es même payée pour ça dans l’absolu, mais bon, est-ce que 2-3 mots de plus genre « Super ! Merci » (non, je ne suis pas exigeante) t’auraient pris tant de temps que ta to-do journalière n’aurait pas pu être achevée ? Et puis, soyons un peu cyniques : les encouragements, ça ne mange pas de pain (les canards non plus il paraît, mais c’est un autre débat) et ça peut donner envie à celui qui les reçoit de recommencer pour en avoir de nouveaux. Donc ça ne peut qu’aider ton business. (La fille qui découvre le principe de l’éducation positive, dix ans après tout le monde…)
Evidemment ça pose la question de la raison pour laquelle tu fais les choses… Que ce soit dans le cadre de l’anniversaire ou du milieu professionnel, tu ne dois pas t’attendre à un remerciement. Tu offres un cadeau pour faire plaisir pas pour compléter ta collection de cartes de remerciements à mettre sur le frigo. Tu fais ton travail parce que tu as un contrat qui te lie au client, pas pour qu’on érige une statue à ta gloire à chaque joli coup.
Mais quand bien même, comment font ces gens pour se sentir bien sans jamais remercier ? Un peu comme ces personnes qui répondent « oui, c’est vrai hein » quand tu leur fais un compliment. Dans ma tête de fille bien élevée, « Elle est très sympa ta robe, elle te va bien ! » ne peut pas ne pas s’accompagner de « oh merci c’est gentil ». Jamais de la vie, je ne pourrai répondre « T’as vu, oui, très sympa. Je me suis fait plaisir ». Un peu comme un ni oui – ni non mais qui inclurait le merci.
Est-ce qu’ils ont été élevés pour penser que tout leur était dû ? Ou que remercier était un signe de faiblesse ? Je pose sincèrement la question, j’aimerais comprendre si le bug dans la matrice vient de moi ou d’eux… Et vu la façon dont je prends le manque de remerciement, je suis prête à entendre que ça vient de moi. A une autre époque, j’aurais provoqué un duel à l’épée pour l’affront.
Bref, je vais continuer à faire des cadeaux même aux gens qui ne savent pas remercier, je vais continuer à frétiller à chaque très joli coup que je décroche même si je ne reçois pas une demande d’autorisation pour une statue à mon effigie après ça. Mais je continuerai aussi à me poser la question du pourquoi.
Sur ce, je vous laisse, je vais aller écrire une carte aux voisins : ils ont apporté les restes de leur gâteau d’anniversaire. Pour lequel, ils ont dit merci.
